Vince venait de terminer sa journée, journée qui lui avait semblé durer largement plus de vingt-quatre heures… Réveillé à quatre heures du matin par la sonnerie stridente et angoissante de son téléphone, il avait décroché avec mauvaise humeur et appréhension. La standardiste lui demandait de venir de toute urgence au commissariat. En effet, on avait retrouvé le cadavre d’une vieille femme, dont le compte en banque était abondamment rempli…
Tout en poussant de profonds soupirs exaspérés, le commissaire MacGowan s’était rué dans son lieu de travail, puis avait pris la direction de la forêt, où on avait retrouvé le corps. La nonagénaire avait été étouffée avec un sac plastique, et son corps avait été maladroitement caché dans un bosquet de ronces. On avait prévenu la famille, etc : toute la routine, si désespérante et monstrueusement lassante. Vince avait ensuite convoqué un certain Mick, le seul petit-fils de la victime, et la dernière personne de sa famille.
L’affaire avait été bien vite réglée. A quatorze heures, le jeune homme entrait en traînant des pieds dans le bureau du commissaire. A quinze heures, ce petit crétin s’enfermait dans un mutisme total. A seize heures, Vince observait ses baskets avec une attention particulière. Non pas par réel intérêt ; ses chaussures de cuir ou de toile lui convenaient parfaitement. Mais il avait remarqué le même logo sur le sac dont le meurtrier s’était servi pour étouffer la grand-mère. Un quart d’heure plus tard, le principal intéressé réclamait un avocat, et avoua tout pendant que ce dernier était en route.
Tout ça pour le fric…
Songea Vince avec désolation. Enfin, l’affaire était classée, c’était le principal. Et maintenant, il se trouvait de nouveau dans les bois, mais son objectif premier était de se détendre. Chose qu’il avait bien du mal à faire… Il repensait sans cesse à l’affaire Jones, toujours non élucidée. Cet échec lui torturait l’esprit, et il tentait vainement de s’accrocher au moindre fait qui se rattacherait au meurtre de Lucie Jones. Mais rien, rien rien et rien ! Vince se remémora tout en marchant l’instant où il avait vu le corps étrangement mutilé de l’adolescente. Des cadavres, le commissaire MacGowan en avait vu des centaines, de tous les âges, tous les sexes, toutes les couleurs : mais celui-ci l’avait particulièrement marqué, sans qu’il sût exactement pourquoi.
Vince avança prestement, d’un pas nerveux mais souple. Son limpide regard bleu était plongé dans le vide, absent. Les mains enfoncées dans les grandes poches de son long manteau de toile bleu marine, cintré et d’une élégance toute anglaise, et dessous un pantalon de toile blanche. Il avait chaussé les converses courtes et beiges que lui avait offert Norah, sa sœur jumelle pour son trentième anniversaire – et le sien, par la même occasion. Vince l’avait regardé avec ahurissement, et elle avait joyeusement éclaté de rire, une lueur d’amusement dans les yeux.
« Allons, elles t’iront parfaitement… »
Lui avait-elle dit avec un ton consolateur. Norah avait un goût vestimentaire certain : et elle ne s’était pas trompée, Vince était parfait, en trentenaire ténébreux et chic. Il semblait brun, avec l’ombre des arbres, mais ses yeux restaient brillants et clairs. Il se rendit compte à un certain moment qu’il marchait sur son lacet de chaussure droite, et décida de le renouer. Il jeta un regard alentour, ne voulant pas mettre un genou à terre et salir son pantalon clair. Il aperçut alors un banc, et s’y dirigea. Il y avait déjà une jeune femme brune, mais Vince ne changea pas de direction. Arrivé à sa hauteur, il esquissa un petit sourire poli et s’y assit, tout au bout. Il était à une distance respectable de l’inconnue, et refaisait les nœuds de ses lacets avec méticulosité.